17 octobre 2008

Carnets BERTRAND : la plainte pénale, nouveau médium de communication

Mon excellent confrère, Me Thierry Herzog, a informé hier la presse du dépôt d’une plainte déposée au nom du Chef de l’Etat, pour dénonciation calomnieuse, les faits incriminés consistant dans la divulgation des carnets de Monsieur Yves Bertrand, ancien directeur des Renseignements Généraux.

Je relève au passage que ces carnets sont actuellement au cœur d’un bon nombre de débats judiciaires, dans la mesure où il en a été beaucoup question ces derniers jours devant la 11ème Chambre correctionnelle de PARIS, qui examine en ce moment l’affaire de l’Angolagate.

Mais revenons à la plainte pour dénonciation calomnieuse, et indiquons immédiatement les commentaires qu’elle peut susciter chez les juristes que nous sommes.

Ces carnets ont été saisis dans le cadre de l’affaire Clearstream, actuellement instruite au pôle financier de Paris. Ils n’ont donc pas été remis spontanément par leur auteur, mais saisis et placés sous main de justice.

Le Point en a publié la semaine dernière quelques extraits. Il y a donc eu une fuite, les carnets étant passés du dossier d’instruction où ils auraient dû rester, pour aller dans le tiroir d’un journaliste.

D’autre part, il apparaît que ces carnets ont été rédigés, pour un usage privé, et non pour être publiés.

Au regard de tous ces éléments, je demeure dubitatif sur la pertinence juridique de la plainte déposée par le conseil du Chef de l’Etat, pour dénonciation calomnieuse, qui implique une dénonciation volontaire et spontanée d’un fait répréhensible à une autorité pouvant y donner une suite (je résume à l’extrême le contenu de l’incrimination).

Bien plus, je m’interroge sur la recevabilité de la plainte déposée par le Chef de l’Etat, en raison de l’immunité prévue à son bénéfice par l’article 68 de la Constitution. Selon cet article modifié en 2007, le Chef de l’Etat ne peut « durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu. »

Cet article n’interdit pas a priori le Président de la République de déposer une plainte, c’est-à-dire de dénoncer des faits pénalement réprimés, dont il estime avoir été victime. La Constitution nous dit effectivement qu’il ne peut « faire l’objet » d’une action, ce qui ne lui interdit pas d’être « sujet » d’une action.

Mais dans ce cas, il est évident que l’égalité des armes entre les parties, qui un principe directeur de notre système juridique issu du droit conventionnel, n’est plus respectée, de sorte que toute procédure initiée par le Président de la République serait nulle, en raison de la violation du principe de cette égalité.

En effet, la personne mise en examen dispose par son statut de la possibilité de demander des actes, des confrontations avec les autres parties, et notamment la partie civile. Elle dispose également de la possibilité de contester la recevabilité du plaignant à se constituer partie civile.
Mais comment pourrait-elle mettre en œuvre l’exercice de ces droits fondamentaux à l’encontre du Président-partie civile, dès lors que le Chef de l’Etat ne peut être l’objet d’aucun acte d’information ?

Pour le dire en un mot, le Président a le droit de frapper sur les autres, qui sont tous, sans exception, privés de la possibilité de répliquer, ou tout simplement de se protéger et de se défendre.

Mais tous ces subtilités ne présentent aucun intérêt, car nous savons que cette plainte déposée par le Chef de l’Etat n’aura aucune suite, puisque sa finalité n’est pas d’aboutir, mais de permettre au Chef de l’Etat de protester contre les accusations figurant dans les fameux carnets, sans avoir recours au droit de la presse, matière éminemment dangereuse en ce qu’elle permet une discussion sur la vérité des faits diffamatoires ou injurieux.

15 octobre 2008

Le banquier et les oeillières

Je suis passé hier faire un saut à la 11ème Chambre correctionnelle du tribunal de Paris, où se déroule actuellement le procès dit de l’Angolagate.

Pour tous ceux qui souhaiteraient en suivre le déroulement, au jour le jour, je les invite à lire les excellentes chroniques de Pascale Robert-Diard, qui suit ce procès pour le journal Le Monde.

A l’audience d’hier, la phrase du jour a bien été celle de Monsieur MAILLE, ancien cadre de la cellule « compensation » de la Banque PARIBAS, qui a structuré le financement des armes achetées par l’Angola.

Le banquier, ou plutôt le cadre de banque, dans un élan de sincérité a déclaré, sur une question du ministère public : « quand on est banquier, il faut savoir avoir des œillères », phrase immédiatement relevée par le Président Parlos, qui l’a fait acter aux notes d’audience, phrase reprise par la presse, soucieuse de mettre en exergue le cynisme des banquiers, peu regardant sur le dessous des opérations qu’ils financent.

Mais le plus important, pour moi, n’était pas là (s’indigner du cynisme de la profession de banquier, c’est à mon sens un peu facile, même si c'est dans l'air du temps…)

Non, l’essentiel est ailleurs. Après avoir fait acter la déclaration précitée, le Président a en effet ajouté : « le tribunal n’est pas là pour faire la morale ».

Pas de morale dans le prétoire. Pas de morale lorsqu’il s’agit de justice, cela signifie n’apprécier que les faits, et ne s’intéresser qu’à leur qualification juridique. Laisser de côté le sens commun, l’opinion publique, tout ce qui relève de la doxa, pour ne s’attacher qu’à la question de savoir si les infractions poursuivies ont été commises, un point c’est tout.

Il est dommage que cette maxime très saine, « pas de morale », ne soit pas unanimement partagée par la magistrature…