5 mai 2008

Sur la suppression des avoués (Réponse à Me Eolas)

J’étais tranquillement parti en week-end prolongé, et c’est en revenant que je me suis aperçu d’une hausse sensible de la fréquentation de mon site, tout à fait inhabituelle en période de congé.

J’ai vite compris que j’avais eu l’honneur d’être cité par mon confrère Eolas, dans son billet portant sur l’épineuse question de la suppression des avoués près la cour d’appel. Je tiens tout d’abord à l’en remercier, et ensuite à exposer plus en détail ma position.

Je suis en effet favorable à la suppression de cette profession, et à sa fusion avec la profession d’avocat, de telle sorte qu’une profession unique puisse assurer la représentation des parties et devant les tribunaux de grande instance, et devant les cours d’appel.

Cette proposition a été reprise dans le rapport ATALI, dont on nous dit qu’il est définitivement enterré (ce qui à mes yeux ne saurait entraîner ipso facto la condamnation de l’ensemble des propositions qui y sont consignées).

La proposition concernant les avoués est la décision 213 :

« Supprimer totalement les avoués près les cours d’appel (444 avoués regroupés en 235 offices).

Les avoués près les cours d’appel ont le monopole de la représentation devant la cour d’appel pour tous les actes de procédure. Leur monopole avait déjà été supprimé en 1971 pour les actes de représentation devant les tribunaux de grande instance. Les avoués avaient alors été indemnisés de la perte de leur monopole, au terme cependant d’un débat législatif qui avait remis en question l’existence d’un droit de propriété dans la mesure où la réforme ne s’accompagnait pas de la perte d’un bien. La situation actuelle ne se justifie en aucune manière. Dans l’immense majorité des cas, les avoués ne rédigent plus les conclusions devant les cours d’appel. Leurs honoraires sont liés au montant du litige et sont perçus indépendamment de l’issue de la procédure, ce qui crée un surcoût artificiel à l’accès à la justice. Dans l’ensemble, leur valeur ajoutée par rapport aux avocats est de plus en plus difficile à justifier pour les justiciables. Il convient donc de supprimer la profession d’avoué près les cours d’appel et de permettre à tous ces professionnels de devenir avocats. »

La Commission ATALI a donc constaté que :
  • le monopole des avoués de première instance avait été supprimé à l’occasion de la loi du 31 décembre 1971, la postulation ayant été transférée à la profession d’avocat ;
  • dans la majorité des affaires, les avoués ne rédigeaient plus les écritures, ce travail étant assuré par les avocats : le rôle des avoués se limitait donc à de la pure postulation (déclaration d’appel, mise en état, signification à avoué des arrêts, état de frais);
  • la rémunération des avoués était partiellement fixée sur le montant du litige, indépendamment de l’issue de celui-ci;
  • les justiciables éprouvaient de la difficulté à saisir la valeur ajoutée (l’utilité) de l’intervention de cette profession.

Pour assurer la défense des intérêts de cette profession, ô combien menacée, mon excellent confrère EOLAS fait valoir, avec la sincérité qui le caractérise, que les avoués sont nécessaires, voire indispensables, à la bonne conduite des affaires devant la cour, dans la mesure où ils seraient des « spécialistes » de la procédure civile devant cette juridiction. Les réactions négatives ou intéressées des confrères souhaitant la suppression de cette profession relèveraient, quant à elles, d’une incompréhension de la fonction de l’avoué.

Mon confrère passe toutefois sous silence deux problèmes très importants, que sont la tarification des actes effectués par les avoués, et la délicate question de l’indemnisation résultant de la suppression des charges. Nous y reviendrons.

Pour ce qui est de l’incompréhension du rôle exact de l’avoué dans le déroulement d’une procédure, mon confrère me permettra de penser que je suis tout aussi capable que lui et que l’ensemble de mes confrères de me faire une idée de l’intérêt de cette profession, dans la mesure où je dois aller en appel tout aussi souvent que lui.

Bref, je n’ai pas attendu que mon confrère ouvre son blog, au demeurant excellent, pour me poser la question de l’utilité ou de l’inutilité de l’avoué, et j’aurai même tendance à penser que sa position est quelque peu marginale au sein de nos barreaux (il conviendrait de faire un petit sondage sur cette question).

Quoi qu’il en soit, l’argument tenant à la spécialisation des avoués ne me semble pas suffisamment pertinent pour justifier à elle seule le maintien de cette profession. Je ne dis pas que les avoués ne sont pas, en raison de leur pratique quotidienne, experts en procédure, mais simplement que cette expertise n’est pas suffisante à légitimer le maintien d’un monopole.

En effet, comme l’a très justement rappelé mon confrère, la postulation devant les tribunaux de grande instance était, avant la réforme de 1971, assurée par des avoués près ces tribunaux.

Personne ne contestera qu’ils étaient également des spécialistes de la procédure civile, écrite (à tel point que la loi prévoira d’ailleurs la possibilité pour les avocats, surtout pénaliste, qui ne souhaitaient pas compromettre la beauté de leur profession par une pratique procédurière à leurs yeux tout à fait indigne, de renoncer à la postulation – ce que fit par exemple Me Jacques ISORNI, qui avait assuré la défense du Maréchal Pétain, aux côtés du Bâtonnier Payen).

Toutefois, la réforme est intervenue, les avoués de première instance ont disparu, et les avocats ont reçu la charge d’assurer la postulation devant les tribunaux de grande instance. Pour certains d’entre eux, les défunts avoués avaient annoncé un cataclysme dans la justice civile : tout se passe très bien, et nous autres avocats assurons très correctement le déroulement des procédures.

Me Eolas, et moi-même, sommes donc, en théorie du moins, des spécialistes de la procédure civile devant ces juridictions, et ce serait faire injure à nos intelligences respectives que d’affirmer que nous serions incapables d’acquérir la même expertise devant les cours d’appel.

Au passage, je relèverai que nous sommes également des spécialistes de la procédure pénale, qui n’a rien à envier à la procédure civile en termes de complexité, lorsque nous nous chargeons du contentieux de l’annulation, devant la chambre de l’instruction ou devant les juridictions de jugement répressive.

L’autre argument avancé par mon confrère pour défendre le monopole de nos amis les avoués, c’est d’indiquer qu’ils connaissent leurs magistrats, les conseillers de la cour d’appel auprès desquels ils travaillent (ça sent bon les épices !), et seraient donc en mesure d’apprécier les chances de succès d’une argumentation en appel mieux que quiconque, en raison de leur parfaite connaissance de la jurisprudence des chambres devant lesquels ils interviennent.

C’est incontestable, mais un bon avocat, ayant accès à une base de données jurisprudentielles, peut également se faire une idée assez précise de l’état de la jurisprudence devant une Cour déterminée, en étudiant les arrêts prononcés par cette dernière dans la matière qui l’intéresse.

Rien ne s’oppose à mes yeux à une fusion de la profession d’avoué à celle d’avocat : cette fusion permettrait au contraire d’offrir au justiciable un interlocuteur unique, capable de suivre son dossier et de mener la procédure, des juridictions de première instance jusques devant la Cour d’appel.

La fusion des professions n’empêchera nullement aux avoués devenus avocats, de conserver une certaine forme de spécialisation, comme c’est actuellement le cas des avocats mandataires devant les tribunaux de commerce : Me EOLAS semble oublier en effet que les anciens agréés ont également fusionné avec les avocats en 1971, sans que personne aujourd’hui ne s’en plaigne.

Mais il ne saurait y avoir de fusion des professions d’avoué et d’avocat, sans une révision générale de la tarification des actes de postulation, tant en première instance qu’en appel. Supprimer la profession d’avoué pour permettre aux avocats de bénéficier de la même tarification n’aurait pas un grand intérêt pour le justiciable.

Il est donc nécessaire de réformer le décret du 2 avril 1960, fixant le tarif des avoués, qui est totalement archaïque, notamment en ce qui concerne le droit proportionnel qui est calculé, sous certaines réserves, sur le montant total des conclusions tant principale qu’incidentes (article 5), et non sur les sommes réellement accordées par le tribunal ou par la cour.

Pour finir, tout le monde aura compris que le frein majeur à cette réforme, qui me semble participer d’une justice plus moderne, et plus efficace, reste la question de l’indemnisation des charges qui seraient supprimées.

Il convient de rappeler à ce sujet que l’indemnisation des avoués de première instance ayant perdu leurs charges avait été assuré en 1971 par la création d’un fonds d’indemnisation alimenté par une taxe parafiscale, payée par les plaideurs eux-mêmes sur les actes de procédure accomplis.