1 février 2008

Pour une nouvelle classification des nullités…

En prenant connaissance d’une procédure (pénale, bien évidemment), tout avocat rêve de trouver une belle nullité qu’il pourrait soulever in limine litis (en français dans le texte, ça donne : au seuil du procès, avant toute défense au fond, comme le dit l’article 385 du code de procédure pénale, in fine).

Avant d’aller plus, qu’est-ce qu’une nullité ?

Selon le Littré, c’est le défaut qui rend un acte nul (la définition est très général, et peut s’appliquer aussi bien aux nullités en procédure civile qu’à celles qui concernent la procédure pénale).

Selon la doctrine, la nullité, plus que l’état d’un acte, est davantage analysée comme une sanction, qui anéantit l’acte qui est en affecté.

Venons-en à la classification des nullités par la doctrine (nous verrons ensuite que cette classification n’a pas été reprise par la jurisprudence, qui a mis en place un autre système de classification).

La doctrine distingue traditionnellement les nullités textuelles des nullités substantielles.

Comme son nom l’indique, la nullité textuelle est expressément prévue par un texte, principalement par le code de procédure pénale. La formalité procédurale à respecter est souvent prévue « à peine de nullité » par le texte qui la prévoit.

C’est le cas notamment des règles régissant les perquisitions et les saisies (article 56 et suivant s du code de procédure pénale), la mise en examen (article 80-1), les écoutes téléphoniques (article 100-7).

Il y a très peu de nullités textuelles dans le code. Or, les règles de procédure sont prévues pour garantir et l’efficacité de la poursuite et des enquêtes, et les droits des parties (mis en examen, partie civile).

C’est pourquoi la doctrine a dégagé, à partir de la jurisprudence prononçant des annulations pour nullités non prévues expressément par des textes, la notion de nullités substantielles.

Le caractère substantiel de la nullité n’est pas fixé par le législateur, et une très grande latitude est laissée aux juges pour l’apprécier.

A cette classification, textuel/substantiel, est venu s’ajouter une autre classification de la doctrine, résultant d’une part de la prise en considération de la nature de l’intérêt protégé, et d’autre part de la classification retenue par la jurisprudence, et notamment par la Chambre criminelle.

Lorsque la nullité protége l’intérêt d’une partie à la procédure, qu’elle peut seule invoquer, la nullité est dite d’ordre privé. Quand la nullité garantit une règle procédurale considérée comme essentielle à la validité d’un acte, elle est dite d’ordre public.

En effet, la jurisprudence, notamment celle de la Cour de cassation, emploie très rarement la distinction ordre privé/ ordre public.

Le critère permettant de faire le départ entre chaque type de nullité consiste dans le grief que cause la nullité.

L’article 802 prévoit que la partie qui invoque une nullité doit démontrer l’existence d’un grief. Toutefois, la Chambre criminelle a estimé que certaines nullités portent « nécessairement grief ». Dans ce cas, la partie qui invoque la nullité n’a pas à faire la démonstration de l’existence d’un grief.

Pour résumer, une nullité d’ordre privé est une nullité pour laquelle la jurisprudence considère que la partie qui l’invoque doit démontrer l’existence d’un grief, la nullité d’ordre public est la nullité qui « porte nécessairement atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concernent »

Bien. Tout cela est très amusant, mais on peut se demander à quoi servent ces classifications aux praticiens. A priori, à pas grand-chose.

L’avocat qui envisage de soulever une nullité se pose deux questions : la jurisprudence sanctionne-t-elle la violation de cette règle de procédure, et dans quelles circonstances ? dans l’hypothèse d’une jurisprudence défavorable à la nullité, y a-t-il un espoir de revirement de jurisprudence ?

D’où une nouvelle classification des nullités à l’usage des praticiens.

La nullité efficace serait la violation d’une règle de procédure sanctionnée par l’annulation quasi certaine des actes de procédure vicés.

Par exemple, la loi prévoit que le gardé à vue peut demander lors de la notification de ses droits à s’entretenir avec un avocat commis d’office. Dans ce cas, le code prévoit que le Bâtonnier de l’ordre des avocats doit être informé de cette demande sans délai. L’avis adressé au bâtonnier 6 heures après le début de la garde à vue est sanctionné par la nullité de la procédure. La jurisprudence de la Cour de cassation, et des juridictions du fond, sont sans ambiguïté là-dessus.

La nullité est donc efficace, parce que l’exception soulevée, il est quasi certain qu’elle sera accueillie.

Au contraire, certaines violations des règles procédures ne sont pas sanctionnées de nullité par la jurisprudence. Par exemple, en ce qui concerne l’information du parquet lors du placement en garde à vue (qui doit être faite dès le début de la garde à vue), même en l’absence de tout justificatif dans la procédure de l’information effective du parquet et du moment où est intervenue cette information, la nullité sera rejeté, dès lors que les enquêteurs auront indiqué dans le procès-verbal avoir avisé immédiatement le procureur de la République.

La nullité est donc inefficace.

Enfin, il existe une troisième catégorie de nullité pour le praticien, la nullité incertaine.

Il s’agit de la nullité sur laquelle la jurisprudence ne s’est pas prononcée avec suffisamment de clarté (en l’absence par exemple de décisions de la Cour de cassation), de celle pour laquelle on pourrait pressentir un revirement de jurisprudence, ou encore de celle qui est soumise à la démonstration d’un grief (la nullité d’ordre privé).

Quel est l’intérêt pratique de cette classification ?

Permettre au praticien de prendre une décision sur l’opportunité de soulever une exception de nullité.

La nullité efficace doit être soulevée dans tous les cas, la nullité inefficace doit être abandonnée, et la nullité incertaine peut être tentée, soit dans l’espoir d’un succès, soit dans le but très noble de contribuer à l’évolution de la jurisprudence.