19 décembre 2006

Un petit moment d'anthologie....

Un affrontement passionnant entre le Président Portelli, et Nicolas Sarkozy, candidat à l'élection présidentielle, sur les chiffres de la récidive des mineurs délinquants, dans l'émission RIPOSTES du 10 décembre dernier...

Le magistrat met le ministre de l'intérieur en face de ses contradictions : absolument délicieux...

http://www.france5.fr/ripostes/008421/4/139567.cfm
(l'échange intervient à la 50ème minute du débat environ).

Selon le Canard Enchaîné (qui demeure très certainement le journal français le mieux informé), Nicolas Sarkozy, passablement énervé de la prestation du magistrat parisien, serait allé provoquer Serge Portelli après l'émission, alors que ce dernier se désaltérait en compagnie des autres invités.

Notre ministre de l'intérieur lui aurait alors déclaré : "J'ai rarement vu un magistrat comme vous ! Je n'aimerais pas être jugé par un magistrat comme vous !".
Portelli lui aurait alors répondu : "Monsieur Sarkozy, je n'aimerais pas être un citoyen si vous
êtes élu Président le 6 mai prochain".

Décidément, il m'est très sympathique, ce vice-président.

Pour finir ce petit commentaire, j'indiquerai que je suis passablement agacé que nos hommes politiques, lorsqu'ils sont à court d'arguments et qu'ils sont acculés par un magistrat, se permettent à chaque fois de mettre en porte à faux leur interlocuteur sur le prétendu devoir de réserve.

Pascal Clément avait déjà tenté cette tactique contre le Président Portelli, et Nicolas Sarkozy a récidivé : "Vous donnez une drôle image de la magistrature, Monsieur Portelli", ou une ineptie de ce genre.

J'estime, et je ne pense pas être le seul, qu'un magistrat a parfaitement le droit, dans une société démocratique moderne, de faire valoir ses opinions, d'exprimer ses convictions à titre personnel, dans des matières qu'il maîtrise en raison de sa pratique professionnelle, sans qu'on puisse lui opposer ce devoir de réserve, qui pouvait avoir sa raison d'être au XIXème siècle, et qui est aujourd'hui parfaitement absurde.

7 novembre 2006

Quelques réflexions sur le projet de réforme de la justice pénale

Comme chacun le sait, le garde des sceaux a présenté le 24 octobre dernier en conseil des ministres son projet de réforme, censé pallier les imperfections de notre système judiciaire, qui avaient été mises au jour lors des travaux de la commission parlementaire sur l’affaire dite d’Outreau.

Je ne reviendrai pas sur le décalage manifeste qui existe entre le rapport de la commission, et le projet de loi proposé par la Chancellerie : cela a été dit, écrit et suffisamment répété. Je n’aurai pas non plus la prétention de proposer une vision globale et académique du projet de loi, n’en ayant ni le temps ni l’envie, dès lors qu’il n’est nullement certain que ce texte soit réellement discuté devant nos assemblées parlementaires.

Pour ceux qui souhaiteraient prendre connaissance des grandes lignes de ce projet, je les invite à consulter le site du ministère de la justice, ou encore à lire l’exégèse de Monsieur Eolas.

Je ne m’intéresserai, pour ma part, qu’aux dispositions purement procédurales, étant depuis longtemps convaincu que la qualité de la justice pénale passe par le respect nécessaire des règles de procédure.

La grande innovation, annoncée avec fanfare, consiste dans l’enregistrement audiovisuel des gardes à vue et des interrogatoires devant le juge d’instruction, en matière criminelle.

Cet enregistrement permettra très certainement d’éviter pour l’avenir certains débordements policiers, et éventuellement de mettre en évidence, en cours de procédure, ou plus probablement devant le juge civil à l’occasion d’une action en responsabilité contre l’état, l’éventuelle partialité d’un juge d’instruction : l’enregistrement conservera la trace du style du juge d’instruction, de son attitude vis-à-vis d’un mis en examen.

Toutefois, la part de subjectivité qui entrera dans l’appréciation du comportement d’un magistrat à l’occasion de la tenue de ses interrogatoires n’apportera pas de changement radical dans le contrôle juridictionnel de son activité.

Enfin, et je l’avais déjà écrit sur ce blog, il est hautement probable que le texte ne prévoie aucune nullité résultant de l’absence de l’enregistrement audiovisuel au dossier, ou de l’impossibilité matérielle dans laquelle pourrait se trouver l’avocat de les visionner (cela supposerait en effet que l’on installât des télévisions, ou des ordinateurs dans les couloirs d’instruction, alors qu’il est déjà difficile de trouver une table et une chaise pour consulter un dossier dans des conditions compatibles avec la dignité humaine…)

Nous pouvons donc prévoir que les enquêteurs se contenteront de rédiger un procès-verbal attestant de l’enregistrement audiovisuel de la garde à vue, que les avocats chercheront désespérément à visionner l’enregistrement, soulèveront des exceptions de nullité, et que les tribunaux correctionnels constateront que les prescriptions légales auront été respectées, dans la mesure où les policiers auront indiqué y avoir procédé.

Il s’agit donc d’une garantie de façade, qui ne protégera en rien le justiciable d’éventuels dérapages.

Venons-en à la création de pôle d’instruction, et à la généralisation de la co-saisine.

C’est une obsession du législateur contemporain que de créer des pôles spécialisés, que ce soit en matière financière, de santé publique ou de criminalité organisée.

Leur efficacité reste à démontrer : le Pôle Financier de Paris aligne aujourd’hui des résultats pour le moins mitigés.

Quant à la co-saisine, on peut douter qu’elle apporte de réelles garanties d’impartialité et de professionnalisme : il s’agit d’un système appliqué régulièrement au pôle financier de Paris, et à la galerie Saint-Eloi (qui traite des dossiers terroristes). Dans le système actuel, l’un des magistrats co-saisis dirige l’enquête, et demeure d’ailleurs le seul magistrat compétent pour prononcer des ordonnances juridictionnelles.

La co-saisine de Monsieur Clément tend seulement à prolonger la période de stage des jeunes juges d’instruction, qui feront leurs classes auprès d’un magistrat plus chevronné.

L’innovation consiste pour les parties à pouvoir solliciter l’adjonction d’un autre juge d’instruction : on imagine que la Chambre de l’instruction sera enchantée d’examiner ce genre de demande, et d’être amenées à désavouer le Président du tribunal qui aura estimé devoir désigner un juge d’instruction unique.

Ces dispositions relèvent d’ailleurs davantage de l’organisation judiciaire que de la procédure pénale proprement dite, et l’on cherche quel intérêt le justiciable pourrait trouver à voir deux magistrat s’occuper de lui plutôt qu’un seul (peut-être le courant passera-t-il mieux avec l’un qu’avec l’autre…)

En cours de procédure, les nouvelles garanties sont pitoyables : droit de demander des confrontations individuelles, et possibilité de contester sa mise en examen tous les six mois.

Alors là, du côté du barreau, on se marre : l’article 82-1 du code de procédure pénale nous permet déjà de solliciter des confrontations (et plein d’autres choses en théorie pure) dans le cadre des demande d’actes.

Dans la pratique, et dans 90 % des cas, le juge d’instruction rejette la demande d’acte. La partie peut faire appel. Cet appel est soumis au droit de filtrage du président de la chambre de l’instruction, dont la décision n’est pas susceptible de recours devant la Cour de cassation. Dans la majorité des cas, le président considère qu’il n’y a pas lieu d’engorger davantage la Chambre de l’instruction, le juge ayant parfaitement motivé son refus. Dans l’hypothèse où la Chambre de l’instruction est effectivement saisie de l’appel, et y fait droit (admettant ainsi le bien-fondé de la demande d’acte), rien n’oblige le juge d’instruction à procéder à la mesure validée par la Chambre de l’instruction.

Système particulièrement absurde, et qu’avaient justement dénoncé les avocats entendus par la commission parlementaire : il fallaitt réformer le régime des demandes d’actes, et obliger le juge d’instruction à effectuer un acte ordonné par la Chambre de l’instruction.

Or, la nouvelle réforme se garde bien évidemment de modifier le système actuel.


En ce qui concerne la contestation des mises en examen, là encore, cela prête à sourire : il est rarissime qu’un juge d’instruction confère, à l’issue de l’interrogatoire de première comparution, le statut de témoin assisté à une personne dont la mise en examen a été requise par la parquet.

D’autre part, la mise en examen relève, selon la jurisprudence de la Chambre criminelle, de la seule appréciation du juge d’instruction.

Bien que l’article 80 prévoie, à peine de nullité, l’existence d’indices graves ou concordants à l’encontre de la personne soupçonnée pour que le juge puisse la mettre en examen, les Chambres de l’instruction n’ont pratiquement jamais annulé une mise en examen pour absence de tels indices (attitude validée bien évidemment par la Chambre criminelle).

Enfin, reste l’examen contradictoire en fin de procédure (permettre aux parties de faire valoir leurs observations après le réquisitoire définitif) qui est en soi une bonne chose, car elle l’obligera les juges d’instruction, non pas à tenir compte des éléments à décharge mis en exergue par les avocats, mais au moins à placer les notes de ces derniers dans le dossier de la procédure (en cote D, celle des pièces de fond).

Voilà l’essentiel de la réformette conçue place Vendôme après le traumatisme d’Outreau.

Tout cela est bien décevant, et ne permet pas de penser que nous disposerons d’une procédure plus contradictoire, plus protectrice des intérêts de chacun dans la décennie à venir.

25 octobre 2006

Laborieux le Labori de Thierry LEVY ?

Thierry LEVY est avocat au barreau de Paris.

Il écrit depuis longtemps. Il écrit beaucoup, et il écrit habituellement de fort bons livres.

J’avais lu autrefois son Justice sans Dieu, qui, au travers d’une relecture original et documentée des travaux de Philippe de Beaumanoir, jurisconsulte du XIIIème, nous proposait un retour vers un système accusatoire, plus équitable et plus juste.

J’avais également apprécié son Eloge de la barbarie judiciaire, où il développait cette thèse qui est la sienne depuis longtemps, à savoir que tout est joué au stade de la garde à vue, où l’avocat ne peut jouer aucun rôle efficace (à l’exception de l’entretien purement psychologique prévu par la loi).

Pratiquant également le droit de l’application des peines, j’avais retrouvé son goût pour le paradoxe, avec lequel il jouait volontiers dans Nos têtes sont plus durs que les murs des prisons, ouvrage singulier dans lequel il proposait l’extension de la surveillance électronique pour l’ensemble des peines, et surtout pour les plus longues.

C’est donc avec beaucoup d’entrain que je me suis lancé dans la lecture de Labori, pour Zola, pour Dreyfus, contre la terre entière, livre co-écrit par Thierry Levy et Jean-Pierre Royer, paru aux Editions Louis Audibert

Et j’ai été déçu.

Déçu tout d’abord parce que l’ouvrage m’est rapidement apparu comme une biographie prétexte, éditée très opportunément en pleine période de commémoration de l’arrêt prononcé en 1906 par la Cour de cassation, réhabilitant le capitaine Dreyfus.

Je suis passionné par les biographies, lorsqu’elles restituent la vie d’un personnage historique au travers d’un véritable travail de recherche, réalisé sur l’ensemble d’une vie. J’aime les biographies, lorsque le texte renvoie à des milliers de notes, elles-mêmes nourries par des milliers de références. Je veux avoir l’impression que l’auteur, que l’historien a épuisé toutes les sources, consulté tous les fonds, lus tous les ouvrages sur la personne et sur l’époque.

Dans le Labori de Thierry Levy, rien de tel. Après un passage obligé par l’enfance et les origines familiales, nous arrivons très rapidement à l’entrée de Fernand Labori au barreau de Paris, avec un passage rapide et obligé sur le discours qu’il a prononcé à l’occasion de la rentrée solennelle du barreau, en qualité de deuxième secrétaire de la conférence du stage.

Nous allons ensuite l’accompagner dans l’affaire Dreyfus, et notamment à l’occasion du procès d’Emile Zola devant la Cour d’assises : l’ambiance est restituée, sans plus, et je ne suis pas certain que Maurice Garçon ait été moins complet dans son Histoire de la justice sous la IIIème république.

Les auteurs nous présentent ensuite l’aventure du second conseil de guerre, tenu à Rennes, et retracent avec beaucoup de finesse les conflits qui apparaissent sur la ligne de défense du capitaine Dreyfus, et notamment l’opposition de Labori, qui souhaitait un combat frontal contre l’accusation et l’armée, et Edgard Demange, l’autre avocat de Dreyfus, qui ne voulait pas faire le procès de l’institution militaire.

Après la tragédie de Rennes, Labori ayant refusé de plaider, une très grande déception : les événements postérieurs de la vie de Labori sont expédiés, et toujours analysés au regard du ressentiment du grand avocat à l’égard de la famille Dreyfus.

On reste donc un peu sur sa faim, d’autant plus que l’on pouvait attendre mieux d’un avocat rendant hommage à l’un de ses prestigieux prédécesseurs à la conférence du stage. On pouvait également attendre mieux d’un historien, Monsieur Royer, ayant commis un ouvrage sur l’histoire de la IIIème république.

Plus désagréable encore : le style a pâti de cette écriture à quatre mains, certains passages manquant singulièrement de légèreté et d’élégance.

Enfin, l’iconographie n’est pas non plus à la hauteur du sujet, l’ensemble des photographies étant très largement connus, pour avoir été publiées en 2002 dans un ouvrage consacré à Paris et ses avocats.

Cet ouvrage ne manque pas cependant pas totalement d’intérêt, dans la mesure où il restitue à grands traits l’épopée d’un avocat singulier dans une affaire exceptionnelle, constitutive de notre histoire et de notre identité.

20 octobre 2006

« C’est possible, c’est réalisable ! »

Que les professionnels du droit se le disent : le droit pénal demeure en pleine mutation, et l’avenir nous réserve un déluge pléthorique de textes sans précédent.

Le ministre de l’intérieur, qui est en campagne électorale, vient de proposer un nouveau renforcement de notre appareil répressif : il appartient aux juristes que nous sommes de participer à l’élaboration technique des nouvelles règles qui gouverneront demain notre droit pénal et notre procédure.

Prévoir un placement obligatoire en détention provisoire pour toute personne mise en examen du chef d’atteinte à l’intégrité physique.

Le principe directeur est simple : nous ne pouvons plus accepter la place indigne réservée aux victimes dans notre système judiciaire, et il faut apporter une réponse radicale à toute atteinte à l’intégrité physique.

La réforme devra donc prévoir la mise en place d’un placement obligatoire en détention provisoire, sans saisine préalable du juge des libertés et de la détention, dès lors que les faits reprochés à la personne mises en examen sont prévus par le livre 2 du code pénal.

Après la mise en examen, le juge d’instruction délivrera automatiquement un mandat de dépôt d’une durée initiale de 4 mois, automatiquement renouvelable 2 fois par le juge d’instruction sans débat contradictoire (il conviendra également de limiter l’exercice d’un appel devant la chambre de l’instruction à des conditions strictes conditionnant sa recevabilité, par exemple que le détenu justifie de motifs graves et pertinents tendant à sa mise en liberté, le président de la chambre de l’instruction disposant en contrepartie du pouvoir de déclarer non-admis l’appel par ordonnance non motivée, et non susceptible de recours).

Les demandes de mise en liberté seraient également interdites, jusqu’à ce que le juge d’instruction ait pris une ordonnance de règlement, le principe étant d’instaurer une détention qui soit de principe, la liberté demeurant exceptionnelle pour ce type d’infraction.

Pour indemniser les détentions qui après ordonnance de non-lieu apparaîtraient comme non justifiées, le législateur pourra mettre en place un système d’indemnisation automatique, permettant au juge d’instruction d’allouer à la personne mise en examen détenue une indemnité forfaitaire par journée de détention (qui serait fixée par décret). Cette indemnisation automatique permettrait aux services du premier président de ne plus s’occuper d’une bonne partie du contentieux de la réparation des détentions provisoires.

La Cour d’assises, juridiction compétente pour connaître de toute infraction commise à l’encontre de personnes dépositaires de l’autorité publique.


Cette règle de compétence salutaire devra être étendue, c’est l’évidence, à toute infraction, dès lors qu’elle a été commise au préjudice d’un policier, d’un gendarme ou encore d’un pompier (avec une extension progressive vers l’ensemble des professions relevant d’un service public).

Toute infraction, y compris les outrages, les injures et diffamations, relèveront de la compétence de la cour d’assises, qui retrouvera ainsi la compétence naturelle qu’elle avait aux premiers temps de la loi sur la presse.
Introduction du jury populaire dans les tribunaux correctionnels


Pour parer au laxisme ambiant tant dénoncé, il convient de parfaire la composition des juridictions correctionnelles selon un principe de gradation, fixée en raison de la peine encourue ou de la nature de l’infraction.

Juge unique pour les délits de moindres importances, tribunal correctionnel en formation collégiale pour les délits d’importance moyenne, et tribunal correctionnel à jury populaire pour les délits les plus graves.

Pour permettre au jury d’exercer pleinement son pouvoir juridictionnel, il conviendra de réserver au "tribunal proprement dit" (les trois magsitrats professionnels) les questions purement juridiques (contentieux de nullités, purement procédural). Les décisions prononcées par le tribunal ainsi composé ne seront pas motivées, et seront susceptibles d’appel devant des chambres des appels correctionnels à jury populaire.

Bien évidemment, le jury se prononcera sur la culpabilité, mais encore sur la peine qu’il convient de prononcer. Il participera également à toute décision sur le maintien en détention, ou sur la délivrance d'un mandat de dépôt à l'audience, par décision non motivée.

Instauration d’une peine plancher pour les multi-récidivistes.


Il est temps en effet de punir sévèrement ces délinquants qui démontrent par leurs comportements qu’ils sont inaccessibles à la sanction pénale. Le ministre de l’intérieur souhaite que le délinquant puisse prévoir la peine qu’il risque d’encourir s’il a nouveau condamné.

Mais il convient également d’adapter la peine encourue, et que la juridiction sera dans l’obligation de prononcer en cas de condamnation, à la situation particulière du délinquant.

D’où l’introduction dans le code pénal de la notion de « peine cumulée individualisée » (dite PCI) : pour tout délinquant qui aura été condamné à plus de trois reprises, poursuivi en état de récidive légale, la peine cumulée individualisée que le tribunal sera tenu de prononcer sera égale au cumul de l’ensemble des peines précédemment prononcées, dans la limite du maximum légal encouru pour l’infraction visée à la prévention, étant précisé que les peines prononcées et assorties du sursis simple ou du sursis avec mise à l’épreuve seront considérées, pour la détermination de la PCI, comme des peines fermes, que les sursis aient été révoqués ou non.

Exemple pratique : Monsieur X, poursuivi pour vol aggravé par deux circonstances, a été condamné à 5 reprises aux peines suivantes : 2 mois avec sursis, 6 mois avec SME, 1 an ferme, 18 mois fermes, 6 mois fermes : la PCI sera de 3 ans et 8 mois d’emprisonnement ferme. Le tribunal sera tenu de prononcer cette peine, sans pouvoir la diminuer mais en pouvant l'aggraver par décision spécialement motivée.
En cas de reconnaissance préalable de culpabilité, le procureur pourra recourir à la CRPC, sans disposer toutefois de la possibilité de proposer à l'homologation du tribunal une peine inférieure à la PCI, le seul aménagement possible demeurant la possibilité d'assortir une partie de la peine qui ne saurait excéder un tiers de la peine totale d'un sursis avec mise à l'épreuve.
Cette faveur exceptionnelle encouragera les délinquants à reconnaître leur culpubalité, permettant ainsi une meilleure gestion du traitement en temps réel.

Ce système simple a d’autre part l’avantage de permettre au délinquant de connaître, avant qu’il ne commette une nouvelle infraction, la peine qui sera prononcée contre lui s’il récidive, car nul ne connaît mieux son casier judiciaire que le délinquant lui-même.

Il est donc à souhaiter qu’un projet de loi soit immédiatement déposé, et que la représentation nationale oeuvre sans désemparer à l’édification d’un monument de notre système pénal !

4 octobre 2006

Chaude ambiance...

Lors de sa création sous l’impulsion de Madame Eva Joly, juge d’instruction spécialisée dans le traitement des affaires financières, le Pôle financier avait suscité beaucoup d’espoirs, et tout autant de critiques. Ce pool de magistrats hautement spécialisés, présentés par certains comme l’élite de la magistrature, permettait d’envisager la mise en place d’un système efficace de lutte contre la délinquance financière.

Après avoir beaucoup déçu par ses résultats, le Pôle de la rue des italiens ressemble aujourd’hui davantage à une cité italienne de la Renaissance, prise dans la tourmente des intrigues et des conspirations, où la rancœur et le ressentiment l’emportent sur la réalisation collective de l’objectif commun : instruire.

L’AFP vient d’annoncer que les juges d’instruction Jean-Marie d’Huy et Henri Pons, chargés d’informer sur le volet dénonciation calomnieuse de l’affaire Clearstream avaient été entendus, en qualité de témoins, par leurs collègues du Pôle, Madame Françoise Desset et Monsieur Thomas Cassuto, saisi par le parquet d’une information pour violation du secret de l’instruction, à la demande du Garde des Sceaux.

Lorsque l’on se souvient que Monsieur Van Ruymbeke, chargé du dossier des frégates de Taiwan, avait été lui-même entendu par ses collègues d’Huy et Pons, et si l’on se rappelle les déclarations peu amènes de Madame de Talancé, qui était co-saisie du dossier des frégates, sur le manque de coopération et de loyauté de son collègue Van Ruymbeke, on reste saisi d’effroi devant l’ampleur de ces guerres fratricides.

C’est alors que se pose la question de la légitimité du pôle financier.

La plupart des énormes dossiers qui ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel se sont effondrés comme des châteaux de cartes, laissant un sentiment de déception chez ceux qui attendaient tant de cette magistrature spécialisée.

D’autant plus que l’essentiel du travail effectué est réalisé par les brigades spécialisées de la police nationale, et que l’intervention personnelle des magistrats se limite dans la majeure partie des cas à un interrogatoire de première comparution et à la rédaction d’une ordonnance de règlement.

Enfin, le caractère éternellement fluctuant de la compétence du pôle financier continue à susciter beaucoup d’agacement chez les praticiens : un jour, un plainte déposée par une société contre X relève de la compétence des juges de droit commun (situé au palais), le lendemain, ce sera l’inverse. Et si la plainte est déposée par une société contre une autre société, les critères sont encore différents.

Toutes ces complications inutiles disparaîtront certainement lorsque le tribunal de grande instance de Paris aura pris possession de ses nouveaux locaux (qui restent à construire), et que l’ensemble des services d’instruction aura été réunifié, tout en conservant chacun leurs spécificités.

15 septembre 2006

Pour en finir avec la politique spectaculaire

La société du spectacle est, par nature, globalisante, et l’une de ses tendances naturelle, essentielle, vitale est d’absorber et de phagocyter lentement tout ce qui l’entoure, pour que tout devienne enfin spectacle, pour que toute réalité située en dehors du spectacle devienne inconcevable.

Et c’est peut-être ce qui explique qu’elle se montre si impitoyable, si intraitable à l’égard de ceux qui osent s’opposer à elle, à son extension, qui refusent toute compromission avec la fatuité et la vacuité inhérentes au mirage spectaculaire, et qui la dénoncent pour ce qu’elle est.

Totalisante, cette virtualité en acte doit par tous moyens intégrer, incorporer, dévorer, pour les comprendre en elle, les téméraires qui revendiquent une existence à l’extérieur de ce mirage et qui mettent à nu ce pitoyable simulacre. Pour détruire ces trublions qui la menacent dans son existence même, elle n’hésite pas à les discréditer, en les intégrant de force dans le spectacle, dévoilant ainsi l’hypocrisie des rebelles.

Le scandale « Gala » illustre parfaitement cette opération de discrédit menée par la presse pour abattre un homme en disqualifiant son discours.

Le magazine du 13 septembre a publié un article signé de Daniel Bernard, présentant Arnaud Montebourg, député de Saône et Loire, accompagné de photographies de l’homme public dans un cadre familial.

Il n’en fallait pas moins pour que des journalistes, souhaitant à tout prix réintégrer l’homme politique dans le système par souci de cohésion, se gaussent joyeusement de la « peoplisation » de celui qui prononça les imprécations les plus vives contre les dérives de la politique-spectacle et d’une Vème République exsangue, de celui qui osa condamner la compromission funeste et ridicule des responsables politiques qui acceptaient de participer à des émissions de divertissement, en refusant d’y participer lui-même.

Dans sa chronique hebdomadaire publiée par Libération, Daniel Schneidermann a dénoncé le reniement du contempteur de la chiraquie, en concluant : « Montebourg est dans Gala. Toute négociation avec le système est illusoire ».

L’illusion tragique, ce n’est donc plus la politique spectaculaire, mais d’avoir cru exister en tant qu’homme politique dans un tel système.

Il est plus que surprenant que le chroniqueur de qualité qu’est Daniel Schneiderman, pourtant habitué à décortiquer les dessous de l’information n’ait pas cherché, préalablement à la publication de son propre article, à connaître les circonstances de la présence surprenante d’Arnaud Montebourg dans les feuilles du magzaine people.
Cela lui aurait permis de prendre connaissance des explications donnés par le député, et de modérer l’emphase de sa déception.

Arnaud Montebourg explique en effet que :

« Est il possible d'être dans Gala sans l'avoir voulu, ni souhaité, ou en l'ayant refusé ? C'est ce qui est arrivé au responsable public que je suis, et ce qui vous permettra de juger des moeurs journalistiques de notre époque.Le journaliste auteur de cet article aussi désobligeant que grotesque n'est autre que Daniel Bernard, journaliste au journal Marianne, publication dont j'apprécie les analyses et avec laquelle comme dirigeant politique je dialogue régulièrement. Daniel Bernard était d'ailleurs à Frangy en Bresse pour enquêter sur la nature de l'alliance que j'étais en train de nouer avec la candidature de Ségolène Royal. Il s'attarda après le tumulte quand le soir fut venu et me posa fort légitimement quelques questions sur l'évolution de la situation politique. Je fus surpris en lisant son journal de constater plus tard que ces matériaux informatifs n'avaient pas été utilisés dans ses articles successifs parus sous sa signature dans Marianne.La semaine dernière, l'intéressé m'appelle et me dit qu'il pigeait pour Gala, c'est à dire qu'il arrondissait ses fins de mois, en écrivant des articles sur les hommes (ou femmes) politiques. Je lui ai dit que je ne souhaitais pas apparaître dans cette publication. Il m'a répondu avec un culot d'acier qu'il « ne m'en laisserait pas le choix ». J'ai donc demandé deux choses : que ma vie privée n'y figure pas puisque mon épouse et moi-même ne nous sommes jamais exposés dans la presse locale ou nationale, et avons toujours soigneusement protégé nos enfants du regard journalistique. Je précise que cette règle de conduite de ma part n'a jamais varié depuis que je suis devenu parlementaire en 1997. Je lui ai également demandé de faire figurer dans son article mon opposition à toute forme d'indiscrétion sur ma vie personnelle. Il m'a assuré - certainement pour m'attendrir- que ce serait le cas.Ces deux engagements ont été trahis par ce journaliste. L'article qui fait état d'éléments de ma vie privée et familiale est construit à partir de ragots non vérifiés déjà parus dans des livres qui me concernent.Quant à la photo, elle a été prise il y a plusieurs mois par un photographe indépendant lyonnais qui m'avait demandé de réaliser un reportage sur le terrain en Bresse, ce qui fut fait. Les photographies dans le jardin de ma maison bressane ont été prises exclusivement en extérieur parce que le photographe souhaitait un décor rural. J'étais loin de penser que tout cela finirait dans Gala ! C'est bien là ma seule imprudence. »

La réaction de Schneiderman s’inscrit donc dans la logique implacable et exclusive de la société du spectacle : il ne peut être conçu une réalité extra-spectaculaire,.Il était nécessaire que le discours du député Montebourg, affirmant la possibilité d’une action politique extérieure au spectacle, exempte de toute contamination, fût fausse, de pure circonstance et de pure rhétorique.

Cette réaction journalistique est d’autre part à rapprocher de cet épisode non moins significatif, non moins signifiant de cette réalité, relaté cette semaine par le Canard enchaîné, décrivant la relation brutale de la direction de TF1 à l’égard de François Bayrou, qui avait eu l’audace de dénoncer les accointances de la chaîne privée avec l’actuel président de l’UMP.

En voyant ce qu’il en coûte aux hommes qui se dressent contre ce pouvoir intouchable que sont les médias, il est à craindre que ne disparaisse définitivement une politique qui puisse s’affirmer en dehors de cet univers factice.

Nous sombrons lentement dans une oligarchie médiatique

10 août 2006

Dis-moi quel est l’objet de ton appel, sinon je le mets à la poubelle !

C’est un peu la leçon que la Chambre criminelle nous invite à tirer de son arrêt prononcé le 15 mars dernier (Crim. 15 mars 2006. Bull crim n°79, pourvoi n°05-87.299).

La Chambre criminelle a en effet déclaré irrecevable le pourvoi formé contre l’ordonnance de non-admission prononcée par le président de la chambre de l’instruction de PARIS, saisie d’un appel interjeté à l’encontre une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, emportant correctionnalisation des faits poursuivis, au motif que l’appel ne précisait pas avoir été interjeté sur le fondement des dispositions du nouvel article 186-3 du code de procédure pénale.

Quelques explications s’imposent.

Contrairement au ministère public, les parties privées (mis en examen et parties civiles) ne disposent pas d’un droit d’appel général contre les ordonnances du juge d’instruction.

L’article 186 du code de procédure pénal énumère très strictement les ordonnances que le mis en examen et la partie civile sont recevables à contester par la voie de l’appel : ordonnance statuant sur une contestation de recevabilité de partie civile, ordonnance de placement sous contrôle judiciaire, ordonnance de placement en détention, ordonnance de mise en accusation devant la cour d’assises, pour les plus importantes.

Si l’une des parties interjette appel d’une ordonnance qui n’est pas visée par l’article 186, le président de la chambre de l’instruction peut (ce n’est pas une obligation) prononcer d’office une ordonnance de non-admission de l’appel, décision non susceptible de voies de recours.

Pratiquement, l’ordonnance de non-admission permet au président de désengorger la chambre de l’instruction, en rejetant d’emblée les appels manifestement irrecevables.

La jurisprudence de la Chambre criminelle permet toutefois de contester le bien-fondé de la non-admission, s’il apparaît que le président a commis un excès de pouvoir (en langage vulgaire, qu’il a commis une erreur en rejetant un appel qui était recevable au regard de l’article 186).

Pour être parfaitement complet, il convient d’indiquer aux amateurs (de procédure pénale) que l’article 186-1 prévoit d'autre part la possibilité de faire appel d’autres types d’ordonnance du juge d’instruction (ordonnance rejetant des demandes d’actes, des demandes de contre-expertise), ordonnances que nous qualifieront de mineures : les appels concernant ces ordonnances sont soumis au pouvoir de filtrage du président.

Le filtrage, dont il a beaucoup été question devant la Commission parlementaire sur l’affaire d’Outreau (sans d’ailleurs que le rapport en tire toutes les conséquences), consiste dans le pouvoir du président de refuser de saisir la chambre de l’instruction, par une ordonnance motivée, insusceptible de recours, sauf encore excès de pouvoir.

Le pouvoir de filtrage ne se confond pas avec la non-admission : le filtrage suppose une appréciation de l’opportunité de l’appel et partant de la demande formulée par la partie devant le juge d’instruction, alors que la non-admission est la sanction d’une irrecevabilité.

Bien, les choses paraissent claires : continuons (et je vous conseille de vous accrocher, parce que ça va se compliquer un peu…).

Traditionnellement, les ordonnances de renvoi devant le tribunal correctionnel (rappelons-le, compétent pour juger des délits) ne sont pas susceptibles d’un appel des parties, contrairement aux ordonnances de mise en accusation devant la cour d’assises (qui connaît des crimes), pour des raisons tenant à la fois à la gravité des faits poursuivis, et à l’histoire de nos institutions répressives.

La jurisprudence a toutefois créé une exception, celle des ordonnances complexes (en gros et pour faire très simple, les ordonnances de règlement, qui mettent fin à l'instruction et qui emportent rejet implicite d’une demande formulée par une partie, rejet qui pourrait être contesté devant la chambre de l’instruction).

L’abominable loi Perben II, du 9 mars 2004, a introduit une exception à cette règle : elle permet en effet aux parties, sous certaines conditions, de faire appel d’une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel (en jargon du palais, nous disons ORTC), dans le seul cas où les faits renvoyés devant le tribunal correctionnel constituent un crime qui aurait dû faire l’objet d’une ordonnance de mise en accusation devant la cour d’assises : c’est l’article 186-3 du code de procédure pénale.

Vous avez été victime d’un vol avec arme (communément appelé braquage), vous avez déposé plainte, et vous vous êtes constitué partie civile pendant l’instruction, ouverte sous une qualification criminelle. A la fin de l’instruction, vous apprenez, en recevant l’ORTC, que les faits ont été requalifiés en vol simple, et que le mis en examen est renvoyé en police correctionnelle.

Avant l’intervention de Monsieur Perben, il vous fallait attendre l’audience correctionnelle, pour soulever l’incompétence de cette juridiction, au profit de la cour d’assises, et reprendre tout le circuit depuis le départ (ou presque).

Maintenant, vous pouvez interjetez immédiatement appel de l’ordonnance de renvoi, et demander à la chambre de l’instruction de prononcer la mise en accusation de l’auteur du crime.

A la condition toutefois que votre avocat prenne la peine d’indiquer, dans la déclaration d’appel, dressée sur ses instructions par le greffe pénal du tribunal, que l'exercice de cette voie de recours trouve son fondement dans les dispositions du nouvel article 186-3 (c’est ce qu’on appelle, au barreau, "mâcher le travail des magistrats").

Dans l’espèce jugée par la Chambre criminelle, une partie civile avait, par l’intermédiaire de son avocat, interjeté appel d’une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, pour des faits qui avait été initialement qualifiés de tentative d’extorsion de fonds en bande organisée (faits criminels), puis requalifiés en tentative d’extorsion de fonds (faits de nature délictuelle, la circonstance aggravante n'ayant pas été retenu par le juge d'instruction).

Se fondant sur les dispositions de l’article 186 (qui exclut la possibilité de faire appel d’une ORTC), et en l’absence, dans l’acte d’appel, de précision sur l’objet du recours, le président avait refusé d’admettre l’appel de la partie civile. Le renvoi correctionnel devenait donc définitif.

La Chambre criminelle a estimé que cette décision était fondée, et ne constituait pas un excès de pouvoir (permettant à la partie civile de contester l’ordonnance de non-admission devant la cour de cassation), aux motifs que :

« en effet, l’appel de l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel n’étant recevable que dans le seul cas où l’appelant estime que les faits sont de nature criminelle et justifient un renvoi devant la cour d’assises, la déclaration d’appel pour échapper à l’irrecevabilité de principe édictée par l’article 186 du code de procédure pénale, doit faire apparaître de manière non équivoque que ce recours est exercé en application de l’article 186-3 dudit code ».

Soit.

Conséquences pratiques pour les avocats : prendre soin de bien dicter au greffier, lors de la déclaration d’appel, le fondement de l’appel, ce qui promet des crises de nerfs mémorables ("Ah bah non, maître, c'est pas possible, vous pouvez pas faire appel, c'est une ORTC…")

Cette solution doit également être appliquée aux ordonnances dites complexes, pour lesquelles les avocats prennent déjà soin de préciser le caractère complexe lors de la déclaration auprès du greffe (là encore, des moments inoubliables d’incompréhension entre gens parlant pourtant la même langue…"Une ordonnance quoi ?")

Critiquons maintenant un peu la Chambre criminelle : cette solution s’imposait-elle ?

Pour justifier l’ordonnance de non-admission en l’absence, dans l’acte d’appel, de précision sur son objet, la Chambre criminelle considère que l’irrecevabilité des appels interjetés contre les ORTC est une irrecevabilité de principe : c’est oublier que l’article 186-3 pose justement une exception à ce principe, et inclut sans ambiguïté les ORTC emportant correctionnalisation dans les ordonnances susceptibles d’appel : par disposition expresse de la loi, ce type d'ordonnance peut être contesté devant la juridiction supérieure.

D’autre part, c’est vouloir ajouter un formalisme contraignant aux déclarations d’appel que le législateur n’avait pas voulu : le code de procédure pénale n’impose nullement de préciser l’objet de l'appel : il est recevable ou ne l’est pas, en fonction de ce que prévoit la loi, sans qu’il y ait lieu de considérer que l’absence de mention de l’objet de l’appel soit une cause d’irrecevabilité.

Ne faut-il pas craindre en effet que la pratique soit contrainte, au regard de cette jurisprudence, d’indiquer systématiquement l’objet de l’appel, par précaution et pour éviter une irrecevabilité, et ce même pour les ordonnances expressément visées par l’article 186 ?

Enfin, comment concilier cette solution avec le fait que le prononcé de la non-admission est une simple faculté pour le président de la chambre de l’instruction, puisqu’il peut librement décider de laisser à la chambre le soin de constater l’irrecevabilité (Crim. 19 mars 1975, Bull crim n°82) ?

7 août 2006

La Chambre criminelle au secours des spamés...

Nous sommes tous victimes de ces mails non désirés, ne présentant de surcroît aucun intérêt, qui encombrent chaque matin notre boite aux lettres électronique.

La Chambre criminelle vient de nous donner la possibilité de lutter contre les spammeurs professionnels, qui nous proposent toutes les heures des pilules Viagra en veux-tu en voilà, des répliques de Rollex, et je ne sais quoi encore….

Le spam est une collecte frauduleuse de données nominatives, prévue et réprimée par l’article 226-18 du code pénal (cinq ans d'emprisonnement et 300 000 € d'amende encourus).

La Chambre criminelle a en effet jugé (Crim. 14 mars 2006. Bull.crim n°69, pourvoi n°05-83.423) que:

« d’une part, constitue une collecte de données nominatives le fait d’identifier des adresses électroniques et de les utiliser, même sans les enregistrer dans un fichier, pour adresser à leurs titulaires des messages électroniques ;

D’autre part, est déloyal le fait de recueillir, à leur insu, des adresses électroniques personnelles de personnes physiques sur l’espace public d’internet, ce procédé faisant obstacle à leur droit d’opposition. »

On ne saurait être plus clair.

En attendant l’institution d’une class action, je conseille vivement à chaque internaute victime de ces odieux spamming d’adresser par lettre simple une plainte au procureur de la République, sur le fondement de cette jurisprudence, en prenant bien soin de joindre une reproduction des mails non désirés…

Eloge (sommaire) du Président Serge Portelli

Je dirai quelque jour tout le bien que je pense de ce magistrat, qui préside actuellement l’une des chambres correctionnelles du tribunal de grande instance de PARIS.

Parce qu’il est bon, de temps à autre, qu’un juriste rende hommage aux magistrats soucieux non seulement d’appliquer correctement la loi, mais encore d’entreprendre une réflexion critique sur notre dispositif pénal, et ses imperfections.

Parmi les magistrats, certains se contentent de penser par généralités, une certaine morale leur tenant lieu de pensée (pour un exemple typique), d’autres au contraire entreprennent une approche sérieuse, documentée et technique de notre appareil répressif.

Le Président Portelli est de ceux-là : il faut lire absolument son Traité de démagogie appliquée, qui décortique sans aucune complaisance, et sans parti pris, les conditions de l’élaboration de la dernière loi de Monsieur Sarkozy sur la récidive.

Aux amateurs de droit pénal, je recommande vivement la lecture de ce texte, ainsi que celle de son étude « La récidive, mobiliser l’intelligence, non la peur ».

1 août 2006

Le législateur et la syntaxe


La loi du 9 mars 2004 a renforcé, comme chacun pouvait s’y attendre, les mesures de contrôle et les dispositifs de répression à l’égard des délinquants sexuels.

Nul ne se plaindra de ce durcissement (à tout le moins publiquement).

Dans une affaire d’agression sexuelle, qui ne serait jamais venue devant une juridiction correctionnelle autrefois (une virile main posée sur des fesses féminines), je me suis aperçu que les magistrats n’avaient pas encore parfaitement intégré les modifications substantielles apportées par cette nouvelle réforme.

L’article 706-47-1 du code de procédure pénale prévoit en effet que :

« Les personnes poursuivies pour l’une des infractions mentionnées à l’article 706-47 doivent être soumises, avant tout jugement au fond, à une expertise médicale ».

Que vous soyez poursuivi pour viol, ou pour une malheureuse exhibition de vos parties honteuses en public, vous devez faire l’objet d’une expertise « médicale » (concrètement, psychiatrique), pour que la société et le tribunal puissent évaluer le risque de récidive que vous représentez, et prendre toute les mesures de sauvegarde (prison, suivi socio-judiciaire, etc) qui s'imposent.

Dans mon affaire, personne ne s’était inquiété de cet impératif expertal : ni le juge d’instruction, ni le procureur, ni le tribunal.

C’est en préparant l’audience que je me suis interrogé sur le contenu de l’article 706-47, et c’est à cause de cette curiosité malsaine que je suis tombé à la renverse, devant la piètre qualité rédactionnelle de nos textes de loi.

L’article 706-47 est en effet ainsi rédigé :

« Les dispositions du présent titre sont applicables aux procédures concernant les infractions de meurtre ou d’assassinat d’un mineur précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie ou pour les infractions d’agression ou d’atteintes sexuelles ou de recours à la prostitution d’un mineur prévues par les articles 222-23 à 222-31, 225-12-1 et 227-22 à 227-27 du code pénal ».

On reste médusé devant le surgissement brutal de cette préposition incongrue, « pour », là, comme ça, sans prévenir, au milieu de cette litanie d’horreurs.

Mais quand on songe à la manière dont ces textes sont appliqués, on finit rapidement par se convaincre que tout cela n’a guère d’importance….

25 juillet 2006

Restons du côté de Saint-Sulpice…

Encore un exemple de ce jésuitisme opportuniste qui permet à la vraie « générosité » de s’exprimer…

Depuis la publication de la circulaire du 13 juin, tous les juristes qui sont amenés à l’étudier se posent la question de savoir si les 6 critères qui y sont définis sont cumulatifs.

Faut-il remplir les six conditions posées pour espérer la régularisation de sa situation, ou certains d’entre eux seulement suffisent-ils à faire naître l’espoir d’une vie meilleure ?

La circulaire ne pose pas le principe du cumul :

« Ce réexamen pourra vous conduire à admettre au séjour certaines familles, de manière exceptionnelle et humanitaire, dans l’intérêt des enfants, afin de leur permettre de sortir d’une situation de précarité et de pouvoir bénéficier des conditions d’une intégration satisfaisante en France.

Dans le cadre de votre pouvoir d’appréciation, vous pourrez utilement prendre en compte les critères suivants :

• Résidence habituelle en France depuis deux au moins deux ans à la date de la publication de la présente circulaire d’au moins l’un des parents


• Scolarisation effective d’un de leurs enfants au moins en France, y compris en classe maternelle, au moins depuis septembre 2005


• Naissance en France d’un enfant ou résidence habituelle en France d’un enfant depuis qu’il a atteint au plus l’âge de 13 ans


• Absence de lien de cet enfant avec le pays dont il a la nationalité


• Contribution effective du ou des parents à l’entretien et à l’éducation de l’enfant dans les conditions prévues par l’article 371-2 du code civil depuis sa naissance


• Réelle volonté d’intégration de ces familles, caractérisée notamment par, outre la scolarisation des enfants, leur maîtrise du français, le suivi éducatif des enfants, le sérieux de leurs études et l’absence de trouble à l’ordre public »


Rien dans le texte ne permet de considérer que l’étranger doit réunir cumulativement les six critères pour demander un dossier de régularisation, pas plus d’ailleurs que les déclarations du Ministre d’Etat au Figaro dans son édition du 24 juillet 2006.

A la question du journaliste qui demandait expressément si le candidat à la régularisation devait remplir les six critères pour être régularisé, Monsieur Sarkozy a répondu :

« C’est une appréciation au cas par cas. Evidemment, un seul critère ne suffit pas. Par un exemple, un enfant scolarisé en France depuis 2005 mais dont un des parents vit à l’étranger avec tous ses frères et sœurs ne remplit pas les conditions nécessaires ».

Saur erreur de lecture de ma part, le ministre ne pose pas le principe du cumul des six critères, alors que la question lui est clairement posée.

Tout autre sera sa position à l’occasion de la conférence de presse sur l’immigration, tenue le même jour à l’Hôtel BEAUVAU :

« Mes consignes aux préfets sont claires : je demande un examen au cas par cas des situations individuelles des familles d’étrangers « sans papiers » ayant des enfants scolarisés, à titre humanitaire [ce qui fait plus sérieux que « par humanité »].

Concrètement, les préfets, dans le cadre de leur pouvoir d’appréciation, examinent chacun des dossiers déposés,
en tenant compte des 6 critères cumulatifs que j’ai définis [suit la liste des six critères énoncés par la circulaire] »

Edifiant !

Du côté de Saint-Sulpice...

La récente décision du Conseil constitutionnel, rejetant le recours déposé par l’opposition contre la nouvelle loi sur l’immigration de Monsieur Nicolas Sarkozy, a été pour de Monsieur Philippe BILGER, Avocat général près la Cour d’assises de PARIS, l’occasion de nous gratifier d’un de ces nouveaux bulletins, comme nous les aimons tant.

Dans son papier virtuel, le représentant de l’ordre et de la société devant la juridiction criminelle se réjouit de la décision des juges constitutionnels, qui refonde selon lui les principes républicains en matière d’immigration, et tempère les expressions outrancières du gauchisme ambiant.

Sur un plan strictement formel, les lecteurs qui s’aventureront sur le blog de l’Accusation relèveront la présence d’un substantif étrange, raffiné et trahissant une immense culture religieuse chez son auteur.

« Sulpicianisme ».

Ce terme évoque immédiatement cette superbe église inachevée, que nous devons à l’architecte Servandoni, qui s’érige sur une des plus belles places de Paris, et qui n’en finit pas d’être restaurée.

Pour les amateurs de littérature (il y en a parmi les juristes, à ce qu’on me dit…), Saint-Sulpice appelle également les souvenirs d’une adolescence, plongée dans les romans de Huysmans à la langue si raffinée, et si difficile d’accès pour des étrangers, qu’ils soient pourvue ou démunis de papiers.

J’ai toujours été fasciné par le personnage du sonneur de cloches, qui se baladait dans des labyrinthes de pierre surélévés, tels des jardins de Babylone (encore une civilisation étrangère),

« Il était au milieu d'une tour qu'emplissaient, du haut en bas, des madriers énormes en forme d'x, des poutres assemblées, frettées par des barres, boulonnées par des rivets, réunies par des vis grosses comme le poing. Durtal ne voyait personne. Il tourna sur la console, le long du mur, se dirigea vers la lumière qui pénétrait par les auvents inclinés des abat-sons.

Penché sur le précipice, il discernait maintenant, sous ses jambes, de formidables cloches pendues à des sommiers de chêne blindés de fer, des cloches au vase de métal sombre, des cloches d'un airain gras, comme huilé, qui absorbait, sans les réfracter, les rayons du jour.

Et, au-dessus de sa tête, dans l'abîme d'en haut, en se reculant, il apercevait de nouvelles batteries de cloches; celles-là, frappées dans leur fonte d'une effigie d'évêque en relief, allumées, au dedans, à la pause, à l'endroit usé par le battant, d'une lueur d'or.

Rien ne remuait; mais le vent claquait par les lames couchées des abat-sons, tourbillonnait dans la cage des bois, hurlait dans la spirale de l'escalier, s'engouffrait dans la cuve retournée des cloches. Soudain, un frôlement d'air, un souffle silencieux de vent moins aigre lui fouetta les joues. Il leva les yeux, une cloche rabattait la bise, entrait en branle. Et tout à coup, elle sonna, prit son élan, et son battant, semblable à un gigantesque pilon, broya dans le bronze du mortier des sons terribles. La tour tremblait, la margelle sur laquelle il se tenait trépidait comme le plancher d'un train; un grondement, continuel, énorme, roulait brisé par le fracassant éclat des coups.

Il avait beau explorer le plafond de la tour, il ne découvrait personne; il finit pourtant par entrevoir une jambe lancée dans le vide qui culbutait l'une des deux pédales de bois attachées au bas de chaque cloche, et, se couchant presque sur les madriers, il aperçut enfin le sonneur, retenu par les mains à deux crampons de fer, se balançant au-dessus du gouffre, les yeux au ciel. »

Il y a quelque chose de fascinant dans cette fonction, sonner les cloches : exercer son ministère au-dessus de tous, loin de la mêlée et du babillage humains, instaurer une distance presque mystique, entre sa propre conscience et le brouhaha constant de la société.

A défaut de tutoyer les anges (la grâce a toujours été distribuée avec parcimonie….), l’on peut toujours faire sonner les cloches, et créer une harmonie toute métallique qui doit présenter, j’en suis convaincu, beaucoup de similitudes avec la musique des sphères.

Nous nous éloignons : pour Monsieur Bilger, « sulpicianisme » est à mettre au même niveau que « angélisme », et « générosité niaise » dont il gratifie les imbéciles qui n’ont pas encore souscrit à l’idéologie de Monsieur Sarkozy : une forme de dévotion un peu bê-bête, réservée à des couches sociales qui n’ont pas eu la chance de faire une Khâgne, formation qui les aurait certainement dirigés vers une spiritualité plus raffinée, moins primaire.


Dans son article, qui égratigne au passage Me Arno Klarsfeld, dont personne ne contestera les qualités de patineur, Monsieur Bilger relève dans la décision constitutionnelle sus-évoquée l’affirmation d’un grand principe à partir duquel « une politique à la fois généreuse et efficace peut être élaborée ».


On aura en effet compris qu’il existe, selon l’approche bilgérienne, une générosité efficace,à la fois ferme et digne, et l’autre, angélique, sulpicienne, un peu cu-cul la praline : la première s’est incarnée en la personne de Nicolas Sarkozy, la seconde sous-tend l’action de ces mouvements prétendument citoyens qui appellent à la désobéissance civile.

Le principe dégagé par le Conseil constitutionnel, qui servira de guide aux générations futures pour mener à bien une politique d’immigration digne de ce nom, est le suivant :

« les étrangers ne sauraient invoquer des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national ».

Il faut remercier les juges constitutionnels d’avoir si bien travaillé : voilà un dogme républicain qui appelle le respect, tant il est précis et concret.

Il ne fait aucun doute que ce principe sera appelé à modifier substantiellement la jurisprudence de nos juridictions administratives. J’entends déjà les commissaires du gouvernement, lisant leurs conclusions aux audiences des Tribunaux administratifs, saisis des recours insensés exercés contre les décisions préfectorales de rejet de carte de séjour, nous expliquer :

« Considérant que Monsieur X invoque au soutien de son recours les dispositions de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme, ainsi que celles de l’article 3-1 de la Convention dite de New-York sur les droits de l’enfant ; que les droits reconnus par ces conventions internationales présentent un caractère absolu et général, dont les étrangers ne sont pas recevables à se prévaloir pour solliciter la délivrance d’un titre de séjour ;

Considérant qu’il convient de rejeter la requête de Monsieur X ».

Le billet de Monsieur Bilger se termine par une indignation : honte à ces associations qui sous couvert d’humanisme se contentent de violer la loi, « sous le regard d’un pouvoir bienveillant ».

Ce sont là des propos forts et réfléchis : la honte doit en effet s’abattre sur ces associations militantes, qui se mobilisent pour alerter l’opinion publique sur les expulsions de jeunes enfants étrangers scolarisés, et qui appellent ouvertement, dans certains cas, à la désobéissance civile.

Ne pas en être convaincu serait faire preuve d’angélisme saint-sulpicien.

Mais oublier que la Préfecture de police souvent n’applique pas la loi, en refusant de délivrer des titres de séjours à des étrangers qui répondent aux critères légaux, ce n’est pas de l’angélisme.

Oublier que l’autorité préfectorale s’assied parfois, allègrement, en toute impunité, sur les décisions définitives prononcées par les juridictions administratives, qui emportent délivrance de titre de séjours, en refusant de les exécuter, ce n’est plus de l’angélisme mais du jésuitisme absolu.

21 juillet 2006

Conflit de compétence – Recours exercé contre les décisions d’ajournement à l’examen d’accès aux centres de formation des avocats

  • Un étudiant, ajourné à l’examen d’accès à l’Ecole de formation du barreau de PARIS, vient de porter à ma connaissance les difficultés qu’il a rencontrées, à l’occasion du recours exercé à l’encontre de la décision prononçant son ajournement.

    Selon une ancienne jurisprudence, l’ordre administratif avait décliné sa compétence pour connaître de tels recours, au profit de l’ordre judiciaire, estimant à juste titre que l’examen d’accès aux centres de formation des avocats relevaient de la compétence exclusive de la cour d’appel territorialement compétente.

    La loi du 11 février 2004 a modifié certaines dispositions, relatives à la formation professionnelle des avocats, de la loi du 31 décembre 1971, qui régit la profession d’avocat.

    C’est en tirant prétexte de cette réforme que certains Instituts d’Etudes judiciaires ont opposé aux malheureux candidats ajournés, ayant eu l’outrecuidance d’exercer un recours, la prétendue incompétence des juridictions judiciaires au profit des juges administratifs, « juge naturel des examens universitaires » selon l’expression d’un professeur d’université.

    Cette exception d’incompétence, purement dilatoire, ne résiste malheureusement pas l’examen des textes et de la jurisprudence tant administrative que judiciaire en la matière.

    Contrairement à ce que soutiennent les universités, les modifications apportées à la Loi du 31 décembre 1971 par la réforme du 11 février 2004 n’ont pas eu pour conséquence de soustraire à la compétence de l’ordre judiciaire la connaissance des recours exercés contre les décision prononcées par les jurys des examens d’accès aux CRFPA.

    En effet, le législateur n’a pas souhaité, à l’occasion de la loi du 11 février 2004, portant réforme des certaines professions juridiques et judiciaires, modifier l’état du droit positif qui attribue à la cour d’appel la connaissance desdits recours.

    D’autre part, la nature et la finalité de l’examen d’accès commandent également cette compétence de l’ordre judiciaire.

    Les conditions d’accès à la profession d’avocat ont été organisées par la Loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, modifiée par les lois n°90-1258 et 90-1259 du 31 décembre 1990, ainsi que le décret d’application n°91-1197 du 27 novembre 1991.

    Outre les conditions de diplômes et de moralité, l’accès à la profession d’avocat est soumis à l’obtention du Certificat d’aptitude à la profession d’avocat (CAPA), destiné à sanctionner une formation professionnelle de nature pratique dispensée, initialement, durant une année par un centre régional de formation professionnelle (le centre parisien ayant pris le nom d’Ecole de Formation du Barreau).

    Le candidat se présente, à l’issue de la maîtrise ou la même année, à l’examen d’entrée à un centre régional de formation professionnelle, cet examen ayant essentiellement pour but de vérifier si le candidat présente un minimum d’aptitude à l’exercice la profession d’avocat.

    L’article 12 de la loi du 31 décembre 1971, dans sa rédaction issue de la Loi du 31 décembre 1990, intégrait l’examen d’accès au CRFPA à la formation professionnelle des avocats :

    « La formation professionnelle exigée pour l’exercice de la profession d’avocat comprend, sous réserve du dernier alinéa de l’article 11, des dispositions réglementaires prise pour l’application de la directive CEE n°89- du 21 décembre 1998 précitée et de celles concernant les personnes justifiant de certains titres ou ayant exercé certaines activités :

    1° un examen d’accès à un centre régional de formation […] »

    A l’occasion de la réforme entreprise en 2004, tendant à modifier le contenu de la formation professionnelle, le législateur a modifié la rédaction de l’article 12 (article 15 de la loi n°2004-130 du 11 février 2004) :

    « Sous réserve de l’alinéa du dernier alinéa de l’article 11, des dispositions réglementaires prises pour l’application de la directive 89/48/CEE du Conseil de Communautés européennes du 21 décembre 1988 précitée et de celles concernant les personnes justifiant de certains titres ou ayant exercé certaines activités, la formation professionnelle exigée pour l’exercice de la profession d’avocat est subordonnée à la réussite à un examen d’accès à un centre régional de formation professionnelle et comprend une formation théorique et pratique d’une durée d’au moins dix-huit mois, sanctionnée par le certificat d’aptitude à la profession d’avocat. »


    Il apparaît que la modification de l’article 12 est purement rédactionnelle, sa finalité étant de tirer les conséquences de la suppression du stage de deux ans autrefois imposé à l’avocat après sa prestation de serment, et de l’allongement à dix-huit mois de la formation pratique dispensée par les centres régionaux de formation professionnelle.


    L’article 14 de la loi du 31 décembre 1971 attribue une compétence exclusive aux cours d’appel de l’ordre judiciaire pour connaître des recours exercés contre toute décision concernant la formation professionnelle des avocats :

    « Les recours à l’encontre des décisions concernant la formation professionnelle sont soumis à la cour d’appel compétente. »

    Cet article n’a pas été modifié par la loi du 11 février 2004.

    Les juridictions administratives et judiciaires, qui ont eu à connaître des recours exercés à l’occasion des examens d’accès aux CRFPA, ont confirmé la compétence exclusive de l’ordre judiciaire, au visa de l’article 12 dans son ancienne rédaction.

    En effet, le Conseil d’Etat, par un arrêt du 22 mars 2000 (CE, n°205901, Mlle KERTUDO/Université PARIS II) a jugé que :

    « Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article 12 de la loi susvisée du 31 décembre 1971 modifiée : « la formation professionnelle exigée pour l’accès à la profession d’avocat comprend (…) : 1° Un examen d’accès à un centre régional de formation professionnelle (…) » ;

    Considérant, d’autre part, qu’aux termes du dernier alinéa de l’article 14 de la même loi : « les recours à l’encontre des décision concernant la formation professionnelle sont soumis à la cour d’appel compétente »,

    Considérant que les décisions des jurys d’examen d’accès aux centres régionaux de formation professionnelle des avocats sont des décisions concernant la formation professionnelle des avocats et que les recours contre ces décisions doivent, en vertu de l’article 14 précité, être soumis à la cour d’appel compétente ; qu’il suit de là que c’est à tort que, par le jugement attaqué, la cour administrative d’appel de PARIS s’est estimée compétente pour connaître de la requête de Mlle KERTUDO ; que ce jugement doit être annulé ».

    Cette jurisprudence a été constamment appliquée par les juridictions administratives, sur le fondement de l’ancienne rédaction de l’article 12 de la Loi du 31 décembre 1971 (TA PARIS, 31 janvier 2001, Gaz. Pal. 22 mai 2001 ; CAA MARSEILLE, 14 janvier 2006, n°04MA02174 ; CAA BORDEAUX, 15 février 2006, n°01BX02297).


    La Cour de cassation s’est également prononcée en faveur de cette solution, par un arrêt du 14 juin 2005 (Civ. 1ère, 14 juin 2005, pourvoi n°03-16.149) :


    « Attendu que M. V. reproche à l’arrêt attaqué (VERSAILLES, 19 septembre 2001) d’avoir déclaré la cour d’appel compétente pour statuer sur le recours formé contre la délibération du jury, alors, selon le moyen, qu’en retenant sa compétence pour statuer sur une décision administrative, la cour d’appel a violé les article 10 et 13 de la loi des 16 et 24 août 1790, le décret du 16 fructidor An II, ensemble le principe constitutionnel de séparation des autorités administrative et judiciaire ;

    Mais attendu, d’une part, que selon l’article 12 de la loi du 31 décembre 1971 dans sa rédaction issue de la loi du 31 décembre 1990, la formation professionnelle exigée pour l’exercice de la profession d’avocat comprend notamment un examen d’accès à un centre régional de formation et, d’autre part, qu’aux termes de l’article 14 de la même loi, les recours à l’encontre des décisions concernant la formation professionnelle sont soumis à la cour d’appel compétente ; qu’à bon droit, l’arrêt attaqué retient qu’il résulte de l’application combinée de ces dispositions que le contentieux des délibérations du jury d’examen d’accès au centre de formation relève de la compétence de la cour d’appel ; que le moyen n’est pas fondé ».


    La Cour d’appel est bien compétente, au regard de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1971, pour connaître des recours exercés contre les décisions des jurys d’examen d’accès au CRFPA, qui doivent être considérés comme des décisions relatives à la formation professionnelle des avocats.

    Les universités ont cru devoir contester la compétence des cours d’appel, au profit des tribunaux administratifs.

    Au soutien de leurs exceptions d’incompétence, les universités font valoir que la modification rédactionnelle opérée par la Loi du 11 février 2004 devrait conduire à une distinction entre d’une part l’examen d’accès aux centre de formation professionnelle, et la formation professionnelle proprement dite, dispensée par les centres de formation.

    Dès lors, l’article 14 de la même loi ne pourrait être appliquée qu’aux décisions des centres de formation professionnelle, les décisions prises à l’occasion de l’examen d’accès relevant de la juridiction administrative.


    Cette exception d’incompétence est mal fondée, puisque :


    - le législateur de 2004 n’a pas souhaité exclure l’examen d’accès du champ de la formation professionnelle, et encore moins soustraire la connaissance des recours à la connaissance de l’ordre judiciaire,

    - bien au contraire, les textes législatifs et réglementaires organisant l’examen d’accès l’insèrent expressément dans le cadre de la formation professionnelle des avocats,

    - la nature particulière de cet examen d’accès, ainsi que les modalités de son organisation, plaide également en la faveur de la compétence exclusive de la cour d’appel.


    La lecture des travaux parlementaires conduit à considérer que le législateur n’a pas souhaité modifier la nature de l’examen d’accès aux centres de formation, et encore moins soustraire à l’ordre judiciaire la connaissance des recours formés par les candidats ajournés.

    En effet, il apparaît à la lecture du rapport du Sénateur Jean-René LECERF que le législateur a entendu maintenir le système antérieur, en ce qui concerne l’examen d’accès, nonobstant les modifications rédactionnelles de l’article 12 :

    «Le premier alinéa du texte proposé pour l'article 12 de la loi du 31 décembre 1971 maintient :

    - les dérogations actuelles à l'obligation de formation dont peuvent bénéficier les ressortissants communautaires et étrangers et les personnes justifiant de certains titres ou ayant exercé certaines activités ;

    - la condition de réussite à un examen d'accès à un centre régional de formation des avocats préalable à la période de formation. »


    Le terme « maintenir » indique suffisamment que les dispositions du projet de loi relatives à l’examen d’accès n’entendaient pas modifier la substance de l’ancienne rédaction, et changer radicalement la nature de l’examen d’accès.

    D’autre part, il sera également observé que les dispositions réglementaires prises en application de la loi du 11 février 2004 maintiennent l’examen d’accès dans le champ de la formation professionnelle des avocats.

    En effet, il n’est pas contestable que :


    - les dispositions relatives à l’organisation de l’examen d’accès sont prévues par les articles 51 à 55 du décret du 27 novembre 1991, dans le chapitre intitulé « La formation professionnelle »,

    - les modifications apportées à ces articles, en application de la loi du 11 février 2004, ont été effectués par un décret n°2004-1386 du 21 décembre 2004 « relatif à la formation professionnelle des avocats ».


    Les décisions des jurys des examens d’accès sont des décisions concernant la formation professionnelle des avocats, et il convient de faire application de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1971, qui attribue une compétence exclusive à l’ordre judiciaire.

    Cette solution a d’ailleurs été retenue par la Cour administrative d’appel, qui a statué sur la nouvelle rédaction de l’article 12 issue de la loi du 11 février 2004 (CAA PARIS, 12 juillet 2005, n°°5PA02264) :

    « Considérant qu’aux termes de l’article 12 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, dans sa rédaction en vigueur avant le 12 février 2004 : « la formation professionnelle exigée pour l’exercice de la profession d’avocat comprend : 1° un examen d’accès à un centre régional de formation professionnelle » ; et qu’aux termes du même article 12, dans sa rédaction issue de l’article 15 de la loi n°2004-130 du 11 février 2004 : « la formation professionnelle exigée pour l’exercice de la profession d’avocat est subordonnée à la réussite à un examen d’accès à un centre régional de formation professionnelle… » ; que la modification ainsi apportée audit article 12 par la loi du 11 février 2004 n’a pas eu pour effet de faire perdre aux décisions des jurys d’examen d’entrée dans les centres de formation professionnelle des avocats le caractère de décisions concernant la formation professionnelle au sens de l’article 14 de la loi du 31 décembre 1971 qui dispose : « les recours à l’encontre des décisions concernant la formation professionnelle sont soumis à la cour d’appel compétente ».

    Cet examen n’est pas un simple examen universitaire, dans la mesure il comporte une finalité professionnelle, permettant l’accès du candidat à une profession réglementée.

    Suivant les dispositions de l’article 51 du décret du 27 novembre 1991, le programme et les modalités de l’examen d’accès sont fixés par arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargés des universités, après avis du Conseil National des barreaux.

    L’intervention de la Chancellerie et du Conseil National des barreaux marquent suffisamment le caractère judiciaire de cet examen, pour lequel l’université est obligée de partager ses prérogatives habituelles.

    D’autre part, la composition même du jury d’examen confère à l’examen d’accès un caractère original et exorbitant du droit commun. En effet, selon les dispositions de l’article 53 du décret du 27 novembre 1991, le jury est composé :

    - de deux professeurs ou maîtres de conférence des universités,

    - un magistrat de l’ordre judiciaire,

    - trois avocats désignés par le bâtonnier de l’ordre.

    Cette composition est exactement celle du jury des centres de formation professionnelle, habilité à délivrer le certificat d’aptitude à la profession d’avocat (article 68 du décret du 27 novembre 1991).

    Et il n’est pas contestable que la cour d’appel est compétente pour statuer sur les recours exercés contre les décisions du jury de l’article 68.

    Il y aurait une incohérence certaine à soumettre les décisions de jurys composés de la même manière, tantôt à l’ordre administratif, tantôt à l’ordre judiciaire, selon que ces jurys relèvent soit de l’article 53 soit de l’article 68 du même décret.

18 juillet 2006

Réplique de Me Fernand Labori dans l'affaire Zola

En ces temps de commémoration, il m’est apparu agréable de reproduire cette réplique de Me Fernand Labori, qui assurait la défense d’Emile Zola devant la Cour d’assises en février 1898. Ce passage est extrait de l’Anthologie des avocats français contemporains, de Fernand Payen (Grasset, 1914).

L’avocat général répondant à la plaidoirie de Me Labori avait terminé par ces mots :

« …les insulteurs sont obligés de se cacher ici en criant : Vive l’armée ! (Bravos et longs applaudissements. Cris de : Vive l’armée !)

La France est sûre de vous ! Messieurs les jurés ; prenez pour guide l’âme de la patrie (Applaudissements prolongés). »

Me Labori se dressa à la barre :

Messieurs les Jurés,

Excusez ma voix, car je suis au bout de mes forces.

Il fallait ce dernier incident pour bien montrer entre qui, ici, la question se pose : entre ceux qui, comme le disait Clemenceau, représentent la justice, la liberté et le droit, et ceux qui ne veulent pas que, comme dans tous les procès, la défense ait, à cette heure, la dernière parole.

M. l’Avocat général s’est levé, non pas pour faire une réplique, mais pour me traiter personnellement d’insulteur de l’armée (bruit), car c’est moi qui parle ici depuis deux jours.

Je n’étais pas habitué à recevoir, dans une enceinte de justice, des coups personnels de cette nature ; je ne suis pas de ceux qui se cachent derrière personne, et je ne suis pas de ceux qui accepteront que, même du banc de l’accusation, une parole d’insinuation ou d’attaque monte vers moi…malgré la hauteur du siège dont elle part ! (Applaudissements.)

M. l’Avocat général, trompé, je suppose, et entraîné par les exemples d’autorité que quelques-uns sont venus apporter ici, s’est imaginé qu’il avait le droit de donner des leçons ; je le lui refuse ! Il ne s’est levé que pour lancer quelques paroles éclatantes. Je sais bien, - puisqu’elles étaient courtes et qu’elles ne pouvaient pas avoir d’effet par elles-mêmes, - pourquoi elles étaient préparées : elles étaient préparées pour une manifestation qu’on avait le droit d’attendre d’une salle qui est composée, et composée contre nous.

Cela dit, Messieurs les Jurés, et cela suffit pour répondre, j’ai cependant encore un mot à ajouter… - je vous demande pardon du ton dont je dis tout cela, c’est le seul moyen que j’ai pour vous parler encore ; - je veux ajouter un mot pour préciser la question que vous avez à résoudre et montrer à M. l’Avocat général qu’il est deux façons d’entendre le droit : la sienne et la nôtre.

Il n’y a pas d’autre question qui vous soit posée que celle-ci : M. Zola est-il coupable ?

Messieurs les Jurés, que ces clameurs de ceux qui ne comprennent pas le respect qui est dû à la justice vous dictent la fermeté qui sera la vôtre, et votre devoir !

Vous n’avez qu’une chose à dire, uniquement, en arbitres souverains que vous êtes, placés aujourd’hui plus que tous, plus haut que l’armée, plus haut que la justice elle-même, je veux dire plus haut que la justice ordinaire, parce que vous êtes la justice du peuple qui va, dans un instant là-haut, rendre un jugement historique ! Vous êtes souverains ! Dites, si vous en avez le courage, que cet homme est coupable ! Dites, si vous en avez le courage, que cet homme est coupable d’avoir lutté contre toutes les passions, contre toutes les haines, contre toutes les colères, pour la justice, pour le droit et pour la liberté ! »

La Cour d’assises condamna Emile Zola à un an de prison, et 3 000 francs d’amende.

Clemenceau, évoquant le souvenir du verdict, dit plus tard à la tribune du Sénat :

« J’étais là, quand il a été condamné – nous étions douze – et, je l’avoue, je ne m’attendais pas à un tel déploiement de haine. Si Zola avait été acquitté ce jour-là, pas un de nous ne serait sorti vivant… »

Feu le contrôle juridictionnel des gardes à vues


Les juridictions répressives ont définitivement renoncé à exercer le rôle de gardien des libertés publiques.

Les deux procédures de contrôles, prévues par le code de procédure pénale, consistant pour l’une dans l’information donnée au procureur sur le placement d’une personne en garde à vue, et pour l’autre dans l’entretien du gardé à vue avec un avocat, sont devenues lettres mortes, et sont désormais dépourvues de toute effectivité.

Il est en effet paradoxal de constater qu’à l’heure du rapport de la commission parlementaire d’Outreau, qui propose une nouvelle réforme du régime de la garde à vue (cf. pages 308 et suivantes du rapport), les juridictions correctionnelles, avec la bénédiction de la Chambre criminelle, ont abdiqué définitivement leur pouvoir de contrôle des gardes à vues, et renoncé à prononcer les nullités qui devraient logiquement, et naturellement, dans un système démocratique soucieux du respect des libertés publiques, sanctionner les violations des garanties posées par le législateur.

Que penser en effet du projet d’enregistrement des auditions du gardé à vue, alors que l’avis à magistrat est devenue purement formel ?

Que penser d’autre part du rôle que l’on entend donner à la défense, en lui permettant d’accéder au dossier après les premières 24 heures de la mesure, alors que les observations écrites, prévues par l’article 63-4 du code de procédure pénale, finissent actuellement dans les corbeilles de nos chers commissariats ?

Venons-en au délicat problème de l’avis à magistrat

Selon les dispositions de l’article 63 (enquête de flagrance, de l’article 77 (enquête préliminaire) et de l’article 154 (exécution d’une commission rogatoire délivré par un juge d’instruction), l’officier de police judiciaire doit informer, dès le début de la garde à vue, le procureur de la république de la mesure, ou le magistrat instructeur.

Cette garantie permet au passage à notre système de garde à vue d’être conforme à la convention européenne des droits de l’homme, dans la mesure où un magistrat de l’ordre judiciaire est appelé à « contrôler cette mesure », et que le procureur a cette qualité.

Cette garantie est purement formelle, et l’on peut se demander pourquoi certains officiers de police judiciaire s’obstinent encore à informer « réellement » le procureur, ou le magistrat, alors que la présence d’un simple procès-verbal dans la procédure suffit à valider la procédure.

Expliquons-nous.

L’avis à parquet peut être fait par n’importe quel moyen : en pratique, l’information se fait en général par télécopie à l’attention du substitut de permanence.


La circulaire d’application de la Loi du 15 juin 2000 prévoyait d’ailleurs un luxe surprenant de précisions pour l’avis à parquet (circulaire du 4 décembre 2000) :

« en pratique, les enquêteurs devront mentionner dans leur procès-verbal que le procureur a été informé du placement en garde à vue, en précisant à quelle heure cette information a été effectuée, ainsi que l’identité du magistrat du parquet qui en a été destinataire ».

Cet excès de zèle n’est plus nécessaire : en effet, il importe peu que le procureur ou ses services aient été réellement informés de la garde à vue, dès lors que figure au dossier un procès-verbal d’avis à magistrat, quant bien même ce procès-verbal ne correspondrait à aucune réalité.

Cette lecture policière du code de procédure pénale a été confirmée par certaines juridictions du fond.

Dans un arrêt du 1er décembre 2004, la 3ème Chambre des appels correctionnels de TOULOUSE (jurisdata 2004-273134) a en effet jugé que :

« L’article 63 du code de procédure pénale fait obligation à l’officier de police judiciaire d’informer le procureur de la république dès le début de la garde à vue, mais ne précise pas la forme sous laquelle doit être transmise cette information. La circulaire d’application prévoit qu’il peut s’agir d’un appel téléphonique, d’un fax. Aucune disposition légale ou conventionnelle ne précise sous quelle forme il doit être justifié dans la procédure de l’accomplissement de cette formalité ; dès lors, le procès-verbal de police qui consigne la date et le mode d’information du procureur de la république sous à en justifier.

En l’espèce, la télécopie dont le Tribunal déclare avoir pris connaissance en cours de délibéré n’avait pas été transmise aux parties ; n’étant pas soumise au débat contradictoire, elle ne pouvait en conséquence servir de base à la décision sans une réouverture des débats. Au surplus, cette pièce n’a pas été trouvée dans le dossier soumis à la Cour.

En revanche, le procès-verbal d’enquête qui vaut preuve suffisante des formalités relatées, mentionne que le Procureur de la République a été informé 4 heure 55 de la garde à vue de X, qui a débuté à 4 heures 15. Le délai écoulé de 40 minutes est conforme aux dispositions de l’article 63 du code de procédure pénale, compte tenu du temps nécessaire à l’interpellation et au trajet jusqu’au commissariat.

Il y a lieu en conséquence par substitution de motifs, de confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté l’exception de nullité ».

Dans cette espèce, il convient de relever que le procès-verbal précisait au moins le mode d’information utilisé par les policiers pour informer le parquet (en l’espèce, une télécopie). Le Tribunal de grande instance de PARIS a récemment rejeté une exception de nullité, alors que le procès-verbal ne comportait aucune indication du mode d’information, pas plus que le moindre renseignement sur le substitut informé.

Pour une bonne compréhension de l’arrêt de la Cour d’appel de TOULOUSE, il faut indiquer que les substituts présents à l’audience, lorsqu’une nullité de la garde à vue est soulevée, pour défaut d’information au procureur, sollicitent fréquemment une suspension de séance, pour aller courir chercher dans les archives du parquet la télécopie envoyée par les policiers, en espérant d’une part pouvoir la retrouver, et la produire à l’audience : dans l’espèce soumise à la Cour de TOULOUSE, le parquet a communiqué la télécopie au tribunal pendant son délibéré, sans la soumettre au débat contradictoire : cette pièce a donc été légitimement écartée des débats par la Cour.

Dans un arrêt encore plus récent, en date du 16 mars 2006, la Cour d’appel de PAU a parachevé le caractère purement formaliste de l’avis à parquet (jurisdata 2006-299195) :

« Par conclusions liminaires, le prévenu fait plaider la nullité des poursuites aux motifs d’une irrégularité constatée lors de son placement en garde à vue : la mention de l’avis donné au procureur de la République serait insuffisante au regard de la loi et de la jurisprudence, puisqu’il est seulement précisé dans le PV n°0000/2004 pièce n°23 de la Brigade de Gendarmerie de Proximité de Y « Disons avoir informé le lundi 20 décembre 2004 à 9 heures 40, Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de DAX, de la présente mise en examen », sans préciser le nom du magistrat ainsi averti, et ce alors que la circulaire du 4 décembre 2000 énonce à propos de l’information immédiate de l’autorité judiciaire édictée par la loi du 15 juin 2000 que « en pratique, les enquêteurs devront mentionner dans leur procès-verbal que le procureur a été informé du placement en garde à vue, en précisant à quelle heure cette information a été effectuée, ainsi que l’identité du magistrat du parquet qui en a été destinataire ».

Exigence issue de la volonté du législateur d’encadrer expressément le placement et le déroulement de la mesure de contrainte que constitue la garde à vue, conformément aux dispositions de l’article 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et préliminaire du code de procédure pénale.

Faute par le PV litigieux de préciser lequel des magistrats du parquet de DAX a ainsi été informé de la mesure de garde à vue de Roger Y, cette mesure et ce PV, mais encore les actes de poursuites subséquents, sont taxés de nullité.

La Cour constate cependant, que le texte de l’article 63 du code de procédure pénale ne stipule nullement la précision de l’identité ni de la fonction du magistrat du parquet informé de la garde à vue ; que la circulaire invoquée, qui n’a certainement pas force de loi, ne saurait ajouter au texte une exigence qui n’y figure pas, même si les termes de cette circulaire laissent à penser qu’en ce qui concerne l’identité du magistrat, l’obligation est la même que pour l’avis lui-même, et l’heure à laquelle il est donnée.

La mention de ce que cet avis a été donné au procureur de la République près le Tribunal de grande instance de DAX, suffit en effet à satisfaire aux dispositions de la loi et textes de principe allégués par l’appelant.

L’exception, dont l’examen a été joint au fond, sera donc rejetée. »


Dans ces conditions, la défense est dans l’incapacité de s’assurer que le parquet a bien été informé de la garde à vue, c'est-à-dire de vérifier que le contrôle prévu par le code de procédure pénale a bien été exercé.

En effet, suffirait à justifier de l’accomplissement un avis à parquet rédigé de la manière suivante :

« Disons avoir informé Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal de grande instance de X de la mesure de garde à vue prise à l’encontre du nommé Y, le dix-huit juillet deux mille six, à trois heures, pour des faits de vol aggravé. Dont acte. »

Qui, au sein du parquet, a été informé de la garde à vue ? On n’en sait rien.

Par quel moyen ? On n’en sait rien.

Le parquet a-t-il réellement été informé ? On s’en fiche.

Exit l’information donnée au procureur de la république.

Qu’en est-il maintenant de la seconde garantie, consistant dans l’entretien du gardé à vue avec l’avocat ?

L’article 63-4 prévoit en effet que le gardé à vue peut demander à s’entretenir avec un avocat dès le début de la garde à vue : à l’issue de cet entretien, l’avocat peut « présenter, le cas échéant, des observations écrites qui sont jointes à la procédure ».

Quel était, dans l’esprit du législateur, l’intérêt de ses fameuses observations écrites ? Certainement pas de faire un compte rendu de l’entretien de l’avocat avec le gardé à vue, ou de faire l’éloge de l’hospitalité policière.

Ces observations écrites doivent être déposées si l’avocat a pris connaissance au cours de cet entretien de faits intervenus pendant la garde à vue, susceptible de porter atteinte aux droits du gardé à vue (violences policières, recours à un avocat commis d’office alors que le gardé à vue avait demandé un entretien avec un avocat choisi…).

Là encore, nous avons à faire à une garantie purement formelle, sans aucune effectivité.

La jurisprudence du Tribunal de grande instance de PARIS en la matière permet de se faire une idée du sort réservé à ces observations écrites.

Dès lors que le procès-verbal d’entretien du gardé à vue avec un avocat fait bien état du dépôt d’observations écrites, et que les policiers certifient que ses observations écrites ne comportent aucune critique sur le déroulement de la garde à vue, le conseil du prévenu n’est pas recevable à invoquer l’absence desdites observations écrites dans le dossier de la procédure, pour arguer de la nullité de la garde à vue.

Les policiers ont ainsi la possibilité d’apprécier le contenu des observations écrites, et de se dispenser de les joindre à la procédure, s’ils estiment qu’elles ne présentent aucun intérêt.



Mieux encore : les policiers ont également la possibilité de procéder au classement vertical (ie la corbeille) des observations déposées par l’avocat, en s’abstenant de rédiger un procès-verbal d’entretien ave l’avocat, qui ne saurait être une cause de nullité.

Le Conseil du prévenu à l’audience, qui n’est pas toujours le même que celui qui est intervenu en garde à vue n’a dès lors aucune moyen de vérifier si des observations écrites ont été déposées par son confrère.